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Scolioses idiopathiques

Scolioses idiopathiques

Dr Simon Vandergugten, Mr Philippe Mahaudens, Prof Pierre-Louis Docquier

Définition

La scoliose idiopathique est une véritable déformation tridimensionnelle du rachis avec altération de la statique rachidienne dans les plans frontal, sagittal et axial. Dans le plan frontal, l’empilement des vertèbres n’est plus vertical mais forme une ou plusieurs courbures (Figure 1A).

Pour parler de scoliose, ces courbures frontales doivent présenter radiographiquement une angulation supérieure à 10° mesurée selon la technique de Cobb (2). Cette technique consiste à mesurer, pour chaque courbure, l’angle entre la droite tangente au bord supérieur de la vertèbre supérieure la plus inclinée et la droite tangente au bord inférieur de la vertèbre inférieure la plus inclinée également (Figure 1A). Dans le plan axial, une rotation plus ou moins importante des vertèbres impliquées dans la ou les courbures est généralement observée. Enfin, dans le plan sagittal, une hypocyphose thoracique est fréquente (Figure 1B). Le diagnostic de ‘scoliose idiopathique’ ne peut être établi qu’en l’absence de toute cause sous-jacente. Ces scolioses idiopathiques se différencient des scolioses de cause connue (maladie neuromusculaire, malformations vertébrales, tumeurs, traumatismes rachidiens, etc.) et des attitudes scoliotiques (le plus souvent liées à une inégalité des membres inférieurs, sans rotation vertébrale associée).

La scoliose idiopathique représente 70% des cas de scolioses diagnostiquées (3). Elle survient chez un enfant apparemment en bonne santé et est plus fréquemment dépistée durant la période pubertaire (11-13 ans chez les filles, 13-15 ans chez les garçons).

Etiologie

De nombreuses études cliniques, épidémiologiques et fondamentales ont tenté de découvrir l'étiologie de la SI (4).

Une composante génétique est actuellement reconnue, la déformation scoliotique ayant souvent été retrouvée chez plusieurs membres de la même famille (5). Globalement, les résultats d'études génétiques ont montré que la SI pourrait être une maladie polygénique car plusieurs loci chromosomiques ont été identifiés (6). La SI a également été associée à des troubles du métabolisme de la mélatonine. Cependant les  études faites sur modèle animal ont montré des résultats contradictoires quant à l’implication de la mélatonine dans le développement des déformations scoliotiques (7; 8). Récemment, Moreau et al. (9) ont suggéré un dysfonctionnement généralisé de la signalisation de la mélatonine. Ils ont observé dans les ostéoblastes et les tissus musculo-squelettiques un défaut de signalisation de la mélatonine. Cette découverte a conduit au développement des premiers tests sanguins pour détecter les enfants à risque de développer une scoliose. Cette étude a permis de réorienter les recherches sur l’étiologie des SI vers l’aspect moléculaire de la croissance, car cette approche biologique semble être plus cohérente pour faire un pronostic et prédire l’effet d’un traitement (10).

Une concentration élevée du taux de calmoduline dans les plaquettes a également été suggérée. Celle-ci pourrait générer soit une altération de l’activité du muscle squelettique (11) soit une libération de facteurs de croissance qui favoriseraient la croissance des disques  et  des  corps vertébraux, c.-à-d. de la partie antérieure du rachis principalement, avec pour conséquence dans les 2 cas une aggravation des courbures scoliotiques (12). Cependant aucune étude n’a encore pu montrer comment et pourquoi se développe la courbure initiale.

Enfin, sur le plan neurologique, des études de résonnance magnétique ont montré des corrélations entre la présence de scoliose et des anomalies de l’axe neural (syringomyélie, diastématomyélie, …)(13). Des tests d’écoute dichotique évaluant l’organisation des processus d’attention sélective dans le cerveau ont montré une plus grande asymétrie droite-gauche au niveau de l’organisation corticale chez les patients scoliotiques (14).

En conclusion, l'étiologie de la SI n’est actuellement pas clarifiée. Par conséquent, les décisions de traitement restent basées sur l’observation des signes cliniques et radiographiques, et sur la connaissance de l'histoire naturelle.

Classification

Les SI peuvent être classées en fonction de l’âge au moment du diagnostic.

Traditionnellement, les SI étaient classées en fonction de l’âge de découverte: infantile (0-4 ans), juvénile (4-10 ans) et de l’adolescent (> 10 ans), ce dernier groupe étant le plus fréquent avec une majorité de filles (8 filles/2 garçons) (15).

Actuellement, il est plus commun de classer les SI en fonction du stade de développement du thorax au moment de la découverte: début précoce (0-5 ans) et début tardif (> 5 ans).

Le risque d’évolution est d’autant plus important que la scoliose apparaît précocement. Les enfants scoliotiques à début tardif, présentent essentiellement des déformations rachidiennes plus ou moins importantes avec un risque léger à terme de présenter des troubles musculo-squelettiques avec retentissement social et/ou psychologique. Tandis que les enfants scoliotiques à début précoce, en plus des déformations rachidiennes, sont à haut risque de présenter des atteintes cardio-pulmonaires liées au développement inadéquat des alvéoles et du parenchyme pulmonaire (16). Cela souligne toute l’importance du suivi thérapeutique régulier.

Bilan

Le bilan de la S.I. doit rechercher une éventuelle cause sous-jacente. Il doit comporter une anamnèse à la recherche d’antécédents médicaux et/ou chirurgicaux, d’une histoire familiale, de phénomènes douloureux. La SI ne doit normalement pas être associée à des douleurs rachidiennes, ce qui souligne l’importance d’un dépistage par un examen systématique du dos de chaque patient, quel que soit le motif de consultation initial. Cependant la présence d’un déconditionnement physique peut expliquer certaines douleurs musculaires.

L’examen clinique doit être rigoureux afin d’exclure la présence d’une déviation rachidienne secondaire à une cause sous-jacente telle une attitude scoliotique (différence de longueur des membres inférieurs, contractures musculaires, mauvais maintien…) (Figure 2) ou une scoliose faussement idiopathique (maladie neuromusculaire, pathologies associées) (1).

L’enfant se tient debout déshabillé, dos à l’examinateur. L’examen porte sur l’aspect cutané, les mesures anthropométriques, l’observation des troubles de la statique des membres et du tronc dans les plans frontal et sagittal (Figure 3A-3B), l’évaluation de toute asymétrie corporelle et des signes de maturité sexuelles. Toute asymétrie du tronc (omoplates) et des flancs doit faire suspecter une altération de la statique rachidienne.

Le test de flexion du tronc vers l’avant (test d’Adams) permet de mesurer l’importance de la (des) gibbosité(s) (17) soit en terme de différence de hauteur côté concave/côté convexe (Figure 4A) soit plus communément à partir d’un scoliomètre évaluant en degré la rotation du tronc au sommet de la gibbosité (Figure 4B).

Des tests dynamiques renseignent sur les limitations de mobilité  du tronc (Figure 5) et des membres inférieurs.

En cas d’apparente altération de la statique rachidienne en présence d’une inégalité de longueur des membres inférieurs (bassin oblique), il suffit de compenser cette inégalité ou de faire asseoir le patient afin de neutraliser son impact sur le rachis (Figure 2). S’il s’agit d’une simple attitude scoliotique, la statique rachidienne redeviendra normale. S’il s’agit d’une véritable scoliose, la déformation rachidienne persistera. Dans le plan sagittal, le patient présente souvent un « dos plat » (Figure 6).

Un examen neurologique (sensibilité, force et réflexes) doit toujours compléter ce bilan.

L’examen radiographique consiste en une radiographie de la colonne totale debout de face et de profil (Figure 1A-B). Sur le cliché de face, différents paramètres sont mesurés après avoir exclu toute anomalie rachidienne: la valeur angulaire et la rotation apicale des différentes courbures, l’équilibre frontal du rachis, la hauteur des crêtes iliaques, les cartilages tri-irradiés et l’indice de Risser. Le cliché de profil permet d’évaluer l’équilibre sagittal du rachis, l’amplitude des courbures sagittales (cervicale, dorsale et lombaire) et les paramètres pelviens tels que l’angle d’incidence, la pente sacrée et la pente pelvienne.

En cas de doute sur la croissance résiduelle, une radiographie de la main et du coude gauches sont réalisées afin de mesurer l’âge osseux selon la table de Greulich et Pyle (18).

Si un traitement chirurgical est planifié, des examens radiographiques complémentaires (traction et bending) seront prescrits (Figure 7A-7B) (16).

La radiographie en traction (Figure 7A) est réalisée sur cadre de Cotrel et consiste en une traction longitudinale du tronc au départ du bassin et de la tête en vue de mesurer la correction maximale possible de (des) courbures scoliotique(s).

Le bending (Figure 7B) consiste en une radiographie en couché dorsal et en inclinaison latérale maximale (forcée par l’opérateur) de chaque côté de la courbure scoliotique. Cet examen est utilisé pour évaluer la flexibilité de la courbure à instrumenter et la mobilité des disques situés aux 2 extrémités de cette courbure.

En cas de douleur ou de suspicion de pathologies neurologiques sous-jacentes, différents examens doivent compléter le bilan (par exemple, IRM médullaire et de la fosse postérieure, scintigraphie, scanner).

Pronostic et évolution

Durant la croissance, le risque d’aggravation est d’autant plus sévère que la déformation scoliotique apparaît à un âge jeune et que la croissance résiduelle est importante. Le diagramme issu des travaux de Madame DUVAL BEAUPERE résume bien le lien entre la progression naturelle des déformations scoliotiques et la croissance vertébrale (Figure 8).

Etant donné que la vitesse de croissance du rachis est plus lente entre 2 et 10 ans, la vitesse d’aggravation des déformations scoliotiques sera théoriquement plus lente, mais ce n’est pas toujours le cas et certaines scolioses évoluent rapidement. Durant l’adolescence, après les premiers signes pubertaires, la vitesse de croissance du tronc étant plus rapide, il en est de même pour la vitesse d’aggravation des déformations scoliotiques, avec un maximum d’aggravation au moment  du pic de croissance pubertaire (19).
Il est donc indispensable de tenir compte de tous les  paramètres permettant d’évaluer la croissance résiduelle (l’évolution de la taille, les caractères sexuels secondaires, la ménarche, l’indice de Risser, l’âge osseux), afin de se faire une idée du risque évolutif scoliose.

D’autre part, Lonstein avait montré des risques d’aggravation progressive selon la sévérité des courbures. Au début de la puberté, il est de 10 % pour une courbure de 5 °, de 20 % pour une courbure de 10°, 80 % pour une courbure de 20° et 100% pour une courbure de 30° (20).

La sévérité des courbures et l’immaturité osseuse au moment du diagnostic sont donc des prédicteurs d’une progression des courbures pendant la croissance. On considère, généralement, une aggravation de plus de 5° d’angle de Cobb en 6 mois comme une progression significative (21).

A maturité osseuse, la majorité des adolescents voient leurs courbures scoliotiques se stabiliser. Ceci est généralement vrai pour les courbures inférieures à 40-45°. Cependant la situation est plus ambigüe pour les courbures supérieures à 45-50°. Il convient de distinguer les courbures stables et les courbures rapidement évolutives. Les courbures qui continuent à progresser rapidement après maturité osseuse sont adressées directement à la chirurgie. Le problème concerne des courbures apparemment stables, mais qui, cependant, continuent à s’aggraver de 1 à 2° par an (22). Certains de ces patients deviendront douloureux. La difficulté est d’identifier cette population de patients qui auront des problèmes plus tard. Les travaux de Weinstein (23) en 2003 avaient montré, après 50 ans de suivi chez des patients scoliotiques non traités, que leur situation professionnelle et sociale était comparable aux autres adultes non scoliotiques.  Le développement d’importantes déformations vertébrales fort inesthétiques restait exceptionnel. Mais des phénomènes douloureux pouvaient être présents. Par contre les patients scoliotiques adultes, dont la scoliose avait été diagnostiquée précocement (avant l’âge de 5 ans), présentaient d’importants problèmes cardio-pulmonaires.

Traitements

Chez  un enfant en pleine croissance, en cas de déformation sévère (>45°), une chirurgie d’arthrodèse devra être réalisée, idéalement en fin de croissance. Une petite déformation (<20°) sera suivie régulièrement (tous les 4 à 6 mois). Enfin les déformations modérées (entre 20° et 45°)  ont de fortes chances de progresser. C’est dans ces cas précis qu’il persiste des discussions quant à l’utilité et le type de traitement (orthopédique ou chirurgical).

Nombreux sont les centres qui pensent que l’évolution d’une scoliose chez un enfant en croissance peut être diminuée voire arrêtée en rigidifiant la colonne avec des corsets, des plâtres ou d’autres formes d’aide physique ou encore en renforçant la musculature du tronc par des programmes d’exercices variés (24). D’autres pensent que les bénéfices supposés des traitements conservateurs ne sont pas prouvés. Ils montrent également que les patients traités ou non par corset ont les mêmes probabilités de bénéficier plus tard d’une intervention chirurgicale (25).

A cause de l’histoire naturelle variable et des effets minimaux de la scoliose sur la santé générale, dans la plupart des cas, il a été difficile d’établir de manière définitive l’efficacité des traitements conservateurs et la valeur de ces traitements reste donc controversée (26). Le corset est cependant le traitement conservateur le plus communément utilisé, une fois le dépistage réalisé. Son objectif est d’éviter toute aggravation de la scoliose pendant la croissance résiduelle. Un patient scoliotique chez qui il persiste encore de la croissance avec un angle de Cobb compris entre 25 et 45° est habituellement considéré comme un candidat approprié pour un traitement par corset (1; 19). Il semble qu’il agisse en rigidifiant la colonne et en la tenant dans une position de réduction durant le reste de la croissance. Actuellement, il existe une grande variété d’orthèses, choisies en fonction de l’âge, du type et de la raideur des courbures (Figure 9).

L’essor de l’informatique et de la robotique a permis l’application de la C.F.A.O. (Conception et Fabrication Assistée par Ordinateur) ainsi que la modélisation spatiale tridimensionnelle par ordinateur à partir de clichés simples de face et profil du rachis.

La plupart des orthèses sont portées 18 à 22 h sur 24h. Rahman et al. ont montré que parmi les patients compliants au traitement orthopédique, 11% ont vu leur courbure s’aggraver alors que parmi les patients peu compliants, 56 % des courbures se sont aggravées.

Concernant le traitement par kinésithérapie, il continue à être favorablement considéré dans la plupart des pays européens.  Il est indissociable du traitement orthopédique. Son but principal est de prévenir l’aggravation des scolioses moyennes (inférieures à 25°) et d’augmenter l’effet de rigidification des scolioses modérées (courbures entre 25 et 45°). Le traitement est toujours complété par des activités sportives orientées. Différentes méthodes de kinésithérapie ont été décrites : certaines sont analytiques, d’autres abordent la prise en charge de façon plus globale. Toutes les méthodes sont bonnes si elles ne deviennent pas doctrines. L’idéal est de varier les divers exercices pour éviter la lassitude de l’enfant. Ces exercices doivent être facilement reproductibles pour qu’il puisse les réaliser à domicile (27).

Une chirurgie d’arthrodèse sera indiquée en cas d’échec du traitement orthopédique, si les courbures sont sévères (> 50°) et continuent à progresser une fois que la croissance est terminée. Seule la chirurgie peut offrir la possibilité d’une correction définitive et de prévention des séquelles des déformations et des complications à court et long termes (1). Toutefois, cette solution remplace une anomalie (une colonne déformée mais flexible) par une autre anomalie (une colonne plus droite mais rigide). Différentes études, portant sur l’efficacité de la chirurgie dans le traitement des SI, ont montré des résultats similaires quant à la stabilisation des courbures scoliotiques, l’importance des corrections angulaires, l’amélioration de la statique rachidienne dans les limites de la normale (28; 29). Cependant des controverses persistent quant à l’étendue de la zone de fusion, le type d’arthrodèse (voie antérieure versus voie postérieure) (Figure 10) (30), le type d’instrumentation (28; 29).

Conclusions

En conclusion, la prise en charge optimale des jeunes présentant une scoliose idiopathique nécessite un dépistage précoce, un diagnostic consciencieux complété d’une radiographie de la colonne totale de face et profil en station debout, une évaluation précise du pronostic, un suivi régulier (4 à 6 mois) et, si nécessaire, la mise en place rapide d’un traitement par corset approprié si l’enfant est toujours en phase de croissance. Cette approche du patient scoliotique nécessite une collaboration étroite entre l’enfant, sa famille, les différents acteurs médicaux, à savoir le médecin généraliste, le pédiatre, le spécialiste du rachis en croissance, le kinésithérapeute, l’ortho-prothésiste parfois renforcée par une aide psychologique. En conséquence, les recommandations de traitement tant conservateur que chirurgical des scolioses idiopathiques diagnostiquées à l’adolescence restent discutables et sont à envisager sur base individuelle, en tenant compte de la croissance résiduelle et du type de scoliose, après avoir clairement informé le patient et sa famille de la variabilité de l’histoire naturelle et du risque de progression de la déformation. Les récentes découvertes en matière génétique ouvrent l’espoir de discerner, idéalement sur base d’une prise de sang, les scolioses qui s’aggraveront de celles qui n’évolueront pas.

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